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Telle quelle de Camille Laforcenée

Jeanne Magazine #103, décembre 2022

Le dessin d’un modèle posant nu – ce qu’on appelle aujourd’hui en école d’art le dessin de modèle vivant – constitue la base de l’apprentissage académique. Le terme « académie » renvoie d’ailleurs à la représentation d’un modèle nu (tautologie). On parle aussi d’« anatomie », soit une analyse dessinée, méthodique et subtile, d’un corps dénudé qui permet de comprendre le mouvement des muscles et des os sous la peau, et ainsi de cerner que qui nous structure, nous donne forme de l’intérieur.

Le nu éduque l’œil comme la main, il « conduit adroitement les yeux » disait le peintre renaissant Roger de Piles. Disons qu’il donne forme au regard que l’on pose sur les chairs humaines. Un certain type de regard : un regard qui scalpèle, dissèque, soupèse. Un regard qui évalue les proportions, qui norme et hiérarchise, typologise. Un regard que Laura Mulvey a qualifié de masculin (le fameux male gaze), disons hétéro-patriarcal, et que Virginie Despentes compare à celui du garçon boucher, disons qui saucissonne et discrimine – là un bon morceau, une chair bien ferme, bien tendre, là un bourrelet à exciser.