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Un regard posé sur le monde

Contemporary Woolf/Woolf Contemporaine, 2014

Résumé
Pour Woolf le contemporain est un espace-temps évanescent et sans cesse renouvelé. Il s’épanouit dans ces moments d’être qui disparaissent avant de réapparaître à la surface de la mémoire. Nous proposons d’étudier ce rapport complexe et fluctuant à travers la relation que Woolf entretient avec l’image, qu’elle soit photographique ou picturale. Nous verrons en quoi Woolf utilise la photographie pour réfléchir au contemporain en s’ancrant dans un présent auquel elle réagit de manière épidermique. Le dispositif texte/image dans Three Guineas (1938) nous servira de base pour étudier son rapport à une temporalité courte et délimitée, à une urgence contemporaine à la fois sociale et politique. Nous proposons ensuite de mettre en parallèle les visions développées par Woolf et par le peinte James Whistler afin de faire l’étude de deux trajectoires similaires qui mettent en lumière le rapport ambigu que l’artiste entretien avec le contemporain. A la charnière entre le 19e siècle et le 20e siècle, l’écrivaine et le peintre problématisent leur rapport à la création au sein même d’œuvres qui se font écrin et écran d’un monde en mutation permanente. Se basant sur l’analyse croisée d’extraits de The Waves (1931) et de certaines « harmonies » et « symphonies » whistleriennes, nous verrons comment tout deux bâtissent des œuvres mouvantes, vibrantes et versatiles, faites d’un réseau d’échos réminiscent des correspondances baudelairiennes. Nous verrons en quoi leurs difficultés à penser le contemporain les mènent à glisser dans l’a-contemporain, comme dans l’a-temporalité.

We want what is timeless and contemporary.
Virginia Woolf [1]

Pour Giorgio Agamben, être contemporain implique de ne pas pleinement coïncider avec son époque, afin de mieux porter un regard sur elle : la contemporanéité se définit comme paradoxe, "la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme" [2]. La relation que Woolf entretient avec le temps s’impose de même comme une certaine relation au monde. Elle est un regard posé sur le monde, une interaction, un échange. Une relation ambiguë qui prend place dans une temporalité tiraillée – quelle relation au passé et quelle ouverture sur l’avenir ? Comment se positionner dans cet entre-deux temporel complexe qui nous échappe toujours, ce présent qui n’en est pas réellement un, à la fois passé, présent et futur ? Pour Woolf, le contemporain s’apparente à un questionnement sans cesse renouvelé, il est une question de positionnement. Il s’envisage aussi comme une difficulté : quelle voix prendre ? Mais aussi quelle voie emprunter ? Quel rôle pour la fiction dans ce rapport complexe au temps et à l’Histoire ? Le contemporain s’impose comme un espace-temps dialectique qui induit une prise de position de la part de l’artiste – à travers l’acte créateur, par l’écriture, pour assumer un héritage victorien au modèle patriarcal dominant, mais aussi pour se positionner face à un avenir qui se dessine peu à peu dans un début de siècle tourmenté. La relation que Woolf entretient avec son époque, son histoire, prend la forme d’un double engagement, à la fois sociopolitique et littéraire. Et la difficulté de penser le contemporain, son paradoxe fondamental, mène chez Woolf vers une prise de position dédoublée, vers un engagement à la fois éthique et esthétique.

C’est ce double questionnement que nous nous proposons d’analyser à travers deux modalités du regard woolfien, dans Three Guineas et The Waves. Question de genre : un roman, un essai – deux temporalités, deux rapports divergents au temps, deux formes d’engagement. Femme de lettres au regard perçant et précis, Virginia Woolf s’attaque aux questions complexes d’un temps pluriel et changeant, poussant sa réflexion jusqu’à l’expérimentation. Nous verrons d’abord comment, dans Three Guineas, Woolf lit le monde à la ‘lumière blanche des faits’. Nous étudierons son rapport à une temporalité courte et délimitée, à une urgence contemporaine à la fois sociale et politique, à travers un dispositif texte/image qui ancre l’essai dans un présent auquel Woolf réagit de manière aiguë. Avec le roman, le dispositif change, se déploie selon des modalités picturales, à la manière de Whistler, son contemporain. Ainsi, à la lumière de Modernité, modernité d’Henri Meschonnic, nous verrons comment, avec The Waves, Woolf glisse dans une intemporalité trans-historique qui est avant tout celle de la modernité.

Three Guineas : ‘The White Light of Facts’

Dans « Modern Fiction », alors qu’elle s’oppose aux schémas éculés d’une littérature victorienne qu’elle estime dépassée, ainsi qu’à certains de ses contemporains qu’elle qualifie d’auteurs ‘matérialistes’, Woolf fait l’apologie de la liberté d’expression et de l’innovation littéraire afin de rendre au plus près la Vie, une certaine réalité du monde qui l’entoure : ‘Any method is right, every method is right, that expresses what we wish to express, if we are writers’ [3]. C’est dans cette perspective qu’avec Three Guineas elle élabore un texte/image, dispositif éloquent – ‘some more energetic, some more active method of expression’ [4] – et s’ancre d’emblée dans un présent de narration (son propre présent en 1936-1937) par la mise en place d’une correspondance simulée, d’un dialogue I/You. Three Guineas s’impose comme une réaction quasi instantanée à des faits d’actualité : la Guerre civile espagnole, ainsi que les inégalités hommes/femmes à la veille de la Seconde guerre mondiale. Le dispositif texte/image, de pair avec le positionnement qu’il implique, peut s’envisager selon trois modalités : la documentation, la dénonciation et la subversion.

Woolf choisit d’intégrer au texte des photographies d’hommes connus, trouvées dans divers articles de presse [5] entre 1931 et 1936. Merry M. Pawlowski nous rappelle que Woolf lisait entre quatre et six journaux par jours [6], s’imposant par là comme historienne de son contemporain. Par son travail quotidien de recherche de coupures de journaux (à la fois textes et images) qu’elle arrange méticuleusement dans des scrapbooks, Woolf entretient une relation quasi physique aux actualités. Elle palpe les faits, les découpe et les colle, en fait une matière première qui viendra nourrir ses écrits. Les médias modernes – la presse, la photographie – sont par là mis au service de l’écriture et viennent illustrer une parole contestataire. Dans La litérature à l’ère de la photographie, Philippe Ortel souligne que la photographie montre l’évidence : ‘outil de connaissance, de communication et de conservation, la photographie est, comme le langage, un moyen de maîtrise, le surplomb à partir duquel on peut prendre connaissance des choses’ [7]. Envisagée comme œil témoin, elle aide Woolf à dresser un état des lieux sur la condition féminine et le rôle prédominant des hommes dans le domaine de la guerre, de mettre à nu un fascisme à la fois domestique et politique. Vision objective du monde, dès le 19e siècle l’image photographique est garante de vérité et de l’authenticité d’un moment précis, elle appelle le regard. Elle est documentation [8], fonctionnant à la fois comme renseignement et comme la preuve d’un ‘ça a été’ [9] historique. Notons que dès les années 1920s, la photographie documentaire fut diffusée auprès d’un plus large public et, comme le souligne Emily Dalgarno, qu’elle était considérée comme un discours alternatif, une nouvelle source d’information ayant le privilège et l’autorité de l’outil scientifique. Avec Three Guineas, Woolf met en place un code visuel qui vise à démasquer une société patriarcale qui use de l’image pour asseoir son pouvoir symbolique. Pour reprendre les termes d’Emily Dalgarno, Woolf ‘seizes on the ideology of photography as uncoded to represent it as the visible sign of invisible ideology’ [10]. En tant que véhicule d’information, l’image est ce ‘savoir indirect’ (‘indirect knowledge’ [11]) qui appelle à un déchiffrement et une prise de distance. Woolf l’emploie comme référent visuel ; l’image est signifiante car elle ancre dans le présent de la narration. Image-témoin datée, elle fait écho à la pléiade de déictiques qui peuplent le texte et Woolf semble pointer du doigt, jouant sur l’effet de réel :

Here then on the table before us are some photographs [...] Photographs, of course, are not arguments addressed to the reason ; they are simply statements of fact addressed to the eye. But in that very simplicity there may be some help. [12]

Les photographies, utilisées comme pure affirmation de faits, permettent à Woolf de provoquer une prise de conscience. Elle utilise la photographie en ce qu’elle fige et fait loupe, permettant au lecteur de s’arrêter pour découvrir des détails qui échappent à l’œil nu, sans se laisser prendre au faste des tenues d’apparat afin d’accéder à ‘des réalités qu’ignore toute vision naturelle’ [13]. Les photographies s’envisagent comme outils d’analyse, et s’inscrivent dans une démarche scientifique pamphlétaire qui vaut à Woolf le titre de ‘most brilliant pamphleteer in England’ [14] lors de la sortie de son essai en 1938. De son regard chirurgical, l’auteure dissèque tel ou tel ‘admirable spécimen de bonne éducation victorienne’ [15]. En tant que tel le dispositif qui feint de mettre en valeur le défilé solennel, de la pompe universitaire (‘cap and gown’) and ‘Lord Mayor’s Shows’, crée une tension ironique entre image et commentaire. Woolf ébranle ainsi le modèle patriarcal qui impose une dictature de l’image et des apparences, une uniformité sociale soumise à la hiérarchie figée et symbolisée par les uniformes que ces hommes arborent fièrement. Elle souhaite se défaire des carcans, tant sur le plan socio-politique que dans une perspective formelle, à travers l’hybridité d’un texte qui rappelle le patchwork.

Pour Woolf, regarder signifie comprendre : parce qu’elle point [16], l’image amorce la réflexion, et pourquoi pas l’engagement. Le dispositif texte/image se fait alors dénonciation. Tout regard porté sur les photographies s’envisage comme un commentaire, et par là comme une prise de position sur le contemporain. Ainsi la prise de parole se fait acte politique [17]. Les photographies ont une fonction éducatrice. Elles sont intégrées au didactisme accusateur du texte, elles l’accompagnent. Grâce à une stratégie narrative fondée sur un double dialogue – Woolf s’adresse à un you anonyme, ‘someone warm and breathing’ [18], et à travers lui à chacun des lecteurs – une intimité s’installe, créant un moment de réflexion partagé autour de quelques images d’actualité. Avec Three Guineas, Woolf est à la recherche de nouveaux moyens d’expression. Elle souhaite convaincre et ses écrits se veulent être une parole crédible dans la sphère publique. S’insurgeant contre ‘the adultery of the brain’ [19] imposée par une parole publique masculine qui contamine et envenime la liberté de penser, Woolf use des mots et des images comme de véritables armes. Pour défendre la liberté d’expression – ce qu’elle avait déjà amorcé dans A Room of One’s Own – il faut abattre cet arbre pourri de la connaissance corrompue (‘the poison tree of intellectual harlotry’ [20]). Woolf frappe fort, l’image vise à provoquer.

L’auteure croit en la puissance du verbe, en l’éloquence de l’image, même lorsque celle-ci reste invisible car elle joue sur d’autres modalités pour imiter et condamner les rites du journalisme et du pouvoir [21]. La description prend alors le relais de la photographie, mais c’est cette fois pour réinsérer in absentia le cliché dans le texte.

The Spanish Government sends them with patient pertinacity about twice a week. They are not pleasant photographs to look upon. They are photographs of dead bodies for the most part. This morning’s collection contains the photograph of what might be a man’s body, or a woman’s ; it is so mutilated that it might, on the other hand, be the body of a pig. But those certainly are dead children, and that undoubtedly is the section of a house. A bomb has torn open the side ; there is still a bird-cage hanging in what was presumably the sitting-room, but the rest of the house looks like nothing so much as a bunch of spilikins suspended in mid-air. [...] For now at last we are looking at the same picture ; we are seeing with you the same dead bodies, the same ruined houses. [22]

Woolf s’attache à décrire l’indescriptible, les images montrant les horreurs de la guerre qu’elle choisit de cacher au regard de ses lecteurs, révélant par là les mécanismes invisibles des idéologies dominantes [23] qui lui sont directement contemporaines. La photographie invisible ne lui sert pas d’argument ; elle reste source d’affect, de réaction et donc de réflexion. Elle est provocation. Paradoxalement, l’absence d’image augmente l’impact et la portée du propos. L’image muette et invisible ne dit pas mais fait parler ; elle reflète et fait réfléchir. Woolf donne à lire/voir des corps en charpie et des maisons en ruine, des fragments horrifiants dont le médium photographique, lui-même fragment du réel, ne saurait dire seul l’importance sans tomber dans la complaisance. C’est donc la prose elle-même qui se fait photographique. Les phrases courtes et tranchantes mettent en valeur ces détails insignifiants, mais néanmoins perceptibles, qui vous poignent, telle cette cage à oiseau, symbole d’une vie annihilée. Si l’auteure choisit de ne pas montrer la douleur des autres, c’est bien pour toucher le plus large public possible, sans éveiller de voyeurisme devant corps démembrés, enfants massacrés et bâtiments éventrés. En son temps, Woolf avait déjà compris ce que Susan Sontag développe dans Devant la douleur des autres : ‘Pourrait-on se mobiliser activement contre la guerre au vu d’une image (ou d’un groupe d’images) […] ? Un récit semble, a priori, avoir plus d’efficacité qu’une image’ [24]. Si l’image possède un effet catalyseur – elle fait réagir – elle peut également repousser. Invisibles mais néanmoins omniprésentes, les photographies retranchées de l’horreur ont une portée plus large et un impact plus fort, elles choquent par leur absence même. Leur présence subliminale contribue à l’élaboration d’un contre-discours.

Occulter les photographies les plus signifiantes, c’est inciter le lecteur à revenir sur les photographies effectivement intégrées, pour en percevoir l’effet délibérément problématique. Car chez Woolf l’image signifie plus qu’elle n’illustre, elle participe d’une lecture précise du monde, d’un décodage. Elle se fait stratégie de discours. Exposant ce qui n’ose se dire, ni s’écrire, elle est l’agent d’une rhétorique de l’ineffable, porteuse d’une éloquence silencieuse au-delà du sujet affiché. L’introduction des cinq photographies dans le texte met ainsi en avant la fonction symbolique d’un corps, celui des puissants, qui s’appréhende comme texte scriptible [25]. C’est ainsi que Woolf déconstruit ce qu’elle appelle l’‘hypnotic power of dominance’ [26]. A travers la photographie, elle dépeint un monde de spectacle : le spectacle d’une grandeur qui est remise en question, et se trouve lié en sourdine au spectacle de l’horreur, d’une souffrance inhumaine et littéralement in-visible. La photographie se voit entièrement subordonnée au discours woolfien, que ce soit dans une utilisation immédiate (reproduction et description de l’image) ou métaphorique (dispositif rhétorique). Comme le souligne Susan Sontag : ‘Photos cannot create a moral position, but they can reinforce one – and can help build a nascent one’ [27]. Le contre-discours et la prise de conscience qui s’ensuit naissent, ici, d’un discours plurimédia transgressif. Woolf pénètre dans les sphères interdites du monde public masculin, met le pied dans un contemporain qui exclut la femme, et l’incorporation de coupures de presse au cœur du texte n’est autre que la reprise et la torsion d’un discours dominant qu’elle rejette. Ventriloque subversive, Woolf prête sa voix aux images muettes et dévoile par là un système corrompu par sa propre image. Tout l’apparat et le cérémonial se voient stigmatisés comme ‘the old poisoned vanities and parades which breed competition and jealousy’ [28]. Woolf critique un patriarcat proliférant qui utilise sa propre image fétiche [29] comme outil publicitaire, et prend l’intellect en otage – ‘hypnotiz[ing] the human mind’ [30]. L’Angleterre ne se trouve plus si loin des pouvoirs fascistes en place en Allemagne, en Italie et en Espagne. Ainsi, Woolf utilise la photographie pour une de ses qualités ontologiques : la fixité ; cette fixité qui révèle la rigidité des carcans sociaux dans la Grande-Bretagne du début du 20e siècle. L’image fixe ainsi l’argument woolfien et subvertit le pouvoir suggéré par l’image. Un renversement s’opère : le sujet photographié perd de son éloquence au profit de l’éloquence de l’image elle-même. La photographie ne s’envisage pas seulement comme représentation fidèle du réel, mais bien comme une reconstruction, un discours, entamant une réflexion sur la représentation. Pour Woolf, l’image se fait texte : elle est subversion et source d’un engagement éthique.

Comme le montre Elena Gualtieri, l’utilisation de photographies en texte appelle à un consensus, ‘a univocal condemnation of war’ [31] : ‘the objectivity of these photos is given as the necessary precondition for the construction of a consensus which reconciles different viewpoints and is perceived to be the foundation of the very possibility of communication’ [32]. Ce consensus figure à la fois un contemporain comme ‘représentation de l’époque par excellence’ [33], en l’occurrence la période précédant la seconde guerre mondiale, et un contemporain paradoxalement ‘a-historique’ [34] qui, selon Meschonnic, pratique l’amalgame des temps et donc nous interpelle encore au 21e siècle. Par l’acte lectoriel, nos différents regards (ainsi que ceux cités dans l’essai, extraits de biographies, d’autobiographies et d’articles de presse) se rejoignent dans et fusionnent avec le regard de l’Outsider assumé par Woolf, ‘the point of view of an educated man’s daughter’ [35]. Car chez elle, l’emprise sur le contemporain implique à la fois un point de vue – ‘a bird’s-eye view of the outside of things’ [36] – ce surplomb duquel on peut prendre connaissance des choses dont parle Philippe Ortel à propos de la photographie, et, pour reprendre les mots de Meschonnic, un ‘effet d’énonciation. Non d’un énoncé’ [37]. Cette prise de parole assumée et revendicatrice, qui rejette toute forme de sentimentalisme ou de voyeurisme par sa volonté même d’exposer les faits crus d’une réalité socio-politique inégalitaire et meurtrière, fait de Woolf non pas un individu lambda s’adressant à une Angleterre patriarcale et, selon elle, fascisante, mais un Sujet qui s’ouvre à l’universalité. D’où le ‘we’ englobant, a-personnel : sujet humain, voix dans laquelle résonnent celles de toute une communauté, Woolf s’adresse à l’Humanité afin de protéger la culture et la liberté intellectuelle et d’empêcher la guerre – ‘you don’t want tears ; you want a suggestion of how to prevent war’ note-t-elle sur une page de son manuscrit [38]. C’est bien là le discours que Meschonnic définit comme ‘partage des valeurs qui ne sont pas du même temps, mais que le partage rend présentes pour un sujet’ [39], c’est à dire nous, lecteurs et lectrices des années 2000.

The Waves : ‘This Omnipresent, General Life’

Si avec Three Guineas, Woolf prend position sur des faits contemporains immédiats, elle envisage le texte littéraire comme le lieu d’une inscription temporelle plus complexe, comme un lieu de confluence, une hétérogénéité. Avec Mrs Dalloway, To the Lighthouse ou Orlando entre autres, elle explore diverses modalités de ce temps pluriel. Lors de l’élaboration de "Time Passes" en 1926, elle envisage la section centrale comme d’une extrême difficulté – ‘the most difficult abstract piece of writing – I have to give an empty house, no people’s characters, the passage of time, all eyeless & featureless with nothing to cling too [...]’ [40], et en 1928 elle commence à réfléchir à ce qui deviendra The Waves, qu’elle définit alors comme ‘an abstract mystical eyeless book’ [41]. Chez Virginia Woolf, le temps passe dans son quotidien trivial, rythmé par le tic-tac de l’horloge et présent dans ses moindres détails – Jinny s’exclame ‘I am a native of this world, I follow its banners’ [42]. Mais, feuilleté, le temps apparaît à la fois monumental, celui du son des cloches de Big Ben [43], et intérieur, subjectif, fluctuant et multiple. Woolf déborde le temps présent, le dépasse par des œuvres qui le transcendent. Le contemporain, temps de l’instant éphémère, ne s’envisage pas sans mal et tend à glisser vers l’a-contemporain, une modernité intemporelle qui, selon Meschonnic, transcende toute historicité.

La modernité est un combat. Sans cesse recommençant. Parce qu’elle est un état naissant, indéfiniment naissant, du sujet, de son histoire, de son sens. Elle ne cesse de laisser derrière elle les Assis de la pensée, ceux dont les idées sont arrêtées, se sont arrêtées, et qui confondent leur ancienne jeunesse avec le vieillissement du monde. [44]

La modernité n’est ni le nouveau ni la rupture, elle s’inscrit en faux contre le dualisme hérité du 19e siècle, c’est ‘l’abolition de l’opposition entre l’ancien et le nouveau’ [45] qui s’inscrit dans un présent toujours présent. Elle est un présent-présence, une intensité.

Les neuf interludes qui rythment l’avancée de The Waves reviennent comme le ressac de temps immémoriaux, un mouvement perpétuel qui est renouvellement permanent. Woolf décrit avec acuité les infimes degrés des différents aspects que prend le paysage sous la lumière naissante ou déclinante du soleil. On suit graduellement le cycle de l’astre solaire en même temps que celui des saisons. Déjà deux rythmes, deux cycles fusionnent – le quotidien se fond dans l’annuel, la temporalité se dissout, anachronique. Par la répétition régulière d’un même phénomène, sur le mode de la répétition avec variation, Woolf fait du jour, de la temporalité courte, un leitmotif qui, de page en page, sur la longueur, forme une temporalité répétée, étirée à l’infini – ‘le présent qui reste présent’ [46]. Le temps se déploie dans l’espace, tel un polyptique impressionniste, faisant état d’une temporalité plurielle irréductible à l’unité. Ainsi retrouvons-nous la métaphore de la jeune fille ‘aux doigts de rose’, ‘enfant du matin’, l’Eos grecque qui inscrit les interludes dans une temporalité universelle, faisant écho au personnage de Percival, vivant à jamais dans la mémoire de ses compagnons, être mythique devenu immortel.

The sun had not yet risen. The sea was indistinguishable from the sky, except that the sea was slightly creased as if a cloth had wrinkles in it. Gradually as the sky whitened a dark line lay on the horizon dividing the sea from the sky and the grey cloth became barred with thick strokes moving, one after another, beneath the surface, following each other, pursuing each other, perpetually.
As they neared the shore each bar rose, heaped itself, broke and swept a thin veil of white water across the sand. The wave paused, and then drew out again, sighing like a sleeper whose breath comes and goes unconsciously. Gradually the dark bar on the horizon became clear as if the sediment in an old wine-bottle had sunk and left the glass green. Behind it, too, the sky cleared as if the white sediment there had sunk, or as if the arm of a woman couched beneath the horizon had raised a lamp and flat bars of white, green and yellow spread across the sky like the blades of a fan. [47]

On est à ce moment où le ciel se dissout dans la mer, lorsqu’après l’aube, juste avant le lever du soleil, l’horizon présente des lueurs brillantes et rosées. La liquidité de la prose woolfienne, sa ‘fluid vision’ [48] qui caractérise le passage (répétitions, jeux de rythme, allitérations), donne à lire, à voir, un fondu enchaîné de changements à peine perceptibles à l’œil nu, une accumulation de détails intenses qui font l’unicité du tableau animé. La description frappe par son degré de sensualité, par la primauté des sensations et de l’émotion esthétique, l’étirement d’un phénomène qui ne dure en fait que peu. Comme chez Monet ou Whistler, ‘les plages colorées apparaissent souvent comme de pures zones d’intensité perceptive’ [49] et émotionnelle. Et c’est ce que l’on retrouve plus loin dans la juxtaposition polyphonique des commentaires des personnages sur ce même lever de soleil. Ici, le présent de la sensation ne prime pas : Woolf préfère rendre l’acuité de l’instant de vie plutôt que son actualité. On se souvient de ce qu’elle dit en 1926 : ‘time shall be utterly obliterated ; future shall somehow blossom out of the past. One incident – say the fall of a flower – might contain it. My theory being that the actual event practically does not exist – nor time either’ [50]. On est ici hors temps, dans une temporalité sans cesse recommencée qui fait naître le futur du passé. Nous faisons face au spectacle de phénomènes naturels qui se déclinent au prétérit abstrait, dans une temporalité de vérité générale. Le réel est ici envisagé dans son absolu (‘the majestic march of the sun cross the sky’ [51]), et l’accumulation de détails infimes, la succession des métamorphoses font du réel appréhendé un hors-monde, domaine des sens et des éléments, un univers de métaphores sur le mode de la synesthésie. La modernité woolfienne se crée ainsi dans un présent ‘rempli du temps de maintenant’, pour reprendre les mots de Walter Benjamin [52]. Elle est une hétérogénéité qui dépasse toute forme de chronologie datée.

Les émotions sensibles des personnages de The Waves s’épanouissent et s’ouvrent sur des sensations qui les dépassent, ce Tout, ‘whole’, débordement infini du sens qu’ouvrent les moments of being ressentis dans l’instant. Prenons par exemple Jinny :

Now I smell géraniums ; I smell earth mould. I ripple. I am thrown over you like a net of light. I lie quivering flung over you. [53]

La fillette évolue dans un monde métamorphique fait de correspondances où le réel glisse vers l’image par la comparaison. Jinny se fait présence lumineuse, filet d’une lumière universelle, avatar enfantin de l’Aurore des interludes, ‘perdue dans les abysses du temps’ [54]. Plus que les Impressionnistes, auxquels on l’associe spontanément, c’est de James Whistler qu’il faut ici rapprocher de Woolf, ce peintre d’harmonies et de symphonies de couleurs, dont les toiles prennent des inflexions littéraires ou narratives. Ainsi que le souligne Katharine Lochman, ‘[s]a palette s’appuie sur la théorie des correspondances, et plus précisément sur des analogies entre peinture et musique, largement diffusée par les écrits de Charles Baudelaire, Théophile Gautier et d’Henri Murger’ [55]. Tout comme Woolf, Whistler se bat contre le réalisme académique et réducteur et cherche à rendre l’intensité d’une perception émotionnelle. Tout deux se rejoignent dans une volonté de travailler leur matière première, qu’elle soit verbale ou picturale, pour créer un art qui transcende le Temps. Whistler peint donc des « nocturnes » saisis au crépuscule et les retranscrit de mémoire sur la toile dans un jeu de fines couches translucides. Ses atmosphères denses déploient en une seule composition les différentes phases de phénomènes qui s’étirent dans le temps et rappellent les expérimentations chronophotographiques d’Eadweard Muybridge ou d’Etienne-Jules Marey. Le 14 novembre 1871, il écrit dans le Times :

La peinture ne devrait pas prétendre à exprimer des émotions d’ordre dramatique, à traduire des évènements historiques ou à montrer la nature, mais devrait se contenter de façonner nos état d’âme et de stimuler notre imaginaire par de subtiles combinaisons de couleurs qui seules suffisent à exprimer tout ce que la peinture a à nous dire et en dehors desquelles aucun discours pictural ne saurait trouver pertinence et authenticité. [56]

Le tableau se veut harmonie, abstraction temporelle. L’arrangement, l’aspect, l’atmosphère priment sur ce qui est représenté, d’où des titres évocateurs comme "Nocturne in Grey and Gold, Westminster Bridge" ou "Nocturne Blue and Silver, Chelsea". Hybride, l’œuvre oscille entre poésie, musique et picturalité, elle est vibrante et versatile, interrogeant la nature du réel et de l’imaginaire, comme ce fameux feux d’artifices qui fit scandale. Atemporel, ‘le paysage, en tant que sujet pictural, est porteur d’associations’ [57]. Whistler peint Londres en jetant des ponts entre motifs traditionnels et la modernité d’une vision renouvelée. Sa technique éclaire le motif du halo ou du globe woolfien, ‘this omnipresent, general life’ [58], où le passé affleure à la surface du présent et s’ouvre déjà sur l’avenir. Comme le souligne Henri Meschonnic, ‘Pas plus qu’il ne suffit d’être contemporain pour partager des valeurs, il ne suffit d’être de la même génération. […] C’est l’âge des œuvres qui compte’ [59]. Woolf et Whistler sont contemporains par leur rejet commun d’un présent resserré, par leur caractère ‘a-historique’ [60]. Ils répondent à l’appel de Neville : ‘let us abolish the ticking of time’s clock with a blow’ [61]. Ce ‘blow’, souffle créateur qui est aussi abolition des conventions et traditions, s’impose comme un engagement esthétique, une réflexion partagée sur la place et le rôle de l’artiste.

Un regard posé sur le monde, mais aussi des mots comme des couleurs, telles les voyelles d’Arthur Rimbaud : ‘"Those are yellow words, those are fiery words", said Jinny. "I should like a fiery dress, a yellow dress, a fulvous dress to wear in the evening"’ [62]. Ecrire, peindre, c’est se dégager d’une linéarité chronologique pour privilégier la liberté créatrice. Accusé par Ruskin de faire des compositions vides de sens et bâclées, Whistler s’explique sur sa démarche :

En utilisant le mot « nocturne », je voulais uniquement exprimer un intérêt pictural, en laissant le tableau libre de tout propos anecdotique extérieur qu’on aurait pu lui attribuer par ailleurs. Une nocturne est tout d’abord un agencement de lignes, de formes et de couleurs. La peinture est un gigantesque problème que j’essaie de résoudre. J’emploi tous les moyens, tous les incidents et tous les objets susceptibles de m’apporter la solution adéquate.  [63]

Se dégager de l’anecdote, du moment précis et daté, pour privilégier le flou de ces moments entre chien et loup, ces instants entre-deux où les temps s’intriquent et se suspendent dans le présent de la sensation pour laisser place à la méditation. Ainsi, la juxtaposition des monologues dans The Waves, se fait accumulation de temporalités subjectives, commentaire sur un temps présent qui convoque la mémoire et invoque l’avenir. La durée personnelle de chacun des personnages, cet ‘unlimited time of the mind’ [64] dit Bernard, vient finalement se fondre dans une temporalité unifiée par le rythme du jour et des saisons, ‘état indéfiniment naissant’ [65]. L’adjonction de présents forme finalement un présent englobant, continu, qui s’étire à l’infini et fait circuler les temporalités. Un complexe temporel à la fois cyclique et linéaire. L’engagement esthétique ne signifie donc plus comment réagir au présent contemporain mais comment écrire, comment peindre une époque présente (à la fois contemporaine et moderne), c’est-à-dire un espace-temps à la fois défini (l’œuvre est toujours datée) et indéfini, qui échappe.

Chez Woolf, la modernité s’affirme comme une survivance anachronique, une ‘constellation de temps hétérogènes’ [66] pour reprendre Georges Didi-Huberman. Elle scintille dans le maintenant d’un présent prégnant, conservant la brillance d’un passé qui survit en elle, tout en filant vers un avenir qui contient son devenir et ses métamorphoses. La modernité ressemble à l’image dialectique dont parlait Walter Benjamin : une fulgurance, une intensité qui met les temps en contact, sans pour autant les amalgamer. La cohabitation de différences. Et c’est dans un futur qui naît du passé que les concepts tremblent, réintroduisant un continu infini et multiforme. Une ouverture sans fin. Que sont ces femmes de Whistler, intenses harmonies de rouge ou de noir, d’or ou d’argent sinon un travail sur la lumière et la couleur, sinon la vivacité et la vibration de coloris intenses qui nous frappent encore ? Et là aussi Woolf rejoint Whistler par son travail sur la matière des mots, perçus comme entités vivantes :

But words do not live in dictionaries ; they live in the mind. […] And how do they live in the mind ? Variously and strangely, much as human beings live, by ranging hither and thither, by falling in love, and mating together. It is true that they are much less bound by ceremony and convention than we are. [67]

Ces mots jaunes, ces mots de feux qui défient la représentation et renouvellent la littérature, ces mots ne constituent pas ‘une réponse à une interrogation de l’homme ou du monde. Il[s] ne [font] que creuser, aggraver le questionnement’ [68], pour reprendre l’expression du poète Lorand Gaspar. Choisir de ne pas ancrer son œuvre dans une historicité ou dans une tradition définies, c’est faire le choix de questionner le monde, de s’ouvrir sur l’avenir, de faire advenir une œuvre qui nous est contemporaine et qui reste éminemment moderne par sa faculté de présent.

Woolf ne prend pas place dans le camp du modernisme, mais dans celui, éternel, de la modernité trans-historique, au sens que Meschonnic lui donne. L’œuvre woolfienne a une conscience du temps présent qui abolit les absolus pour faire circuler la temporalité. Elle privilégie un dialogue des temps pour atteindre cette Vie qui est, pour Meschonnic comme pour elle, synonyme de modernité – ‘this varying, this unknown and uncircumscribed spirit’ [69].

La modernité est la vie. La faculté de présent. Ce qui fait des inventions du penser, du sentir, du voir, de l’entendre, l’invention de formes de vie. [...] La modernité est ce qui reparaît, sous tous les étouffements. Jusque dans “la petite vie” dont parle Baudelaire. La modernité est la prevision de ce que c’est d’être au present. [...] La modernité, avenir du present. [70]

Et c’est dans cet avenir du présent, vibration temporelle, dans l’aurore renouvelée que la boucle se boucle :

Dawn is some sort of whitening of the sky ; some sort of renewal. Another day ; another Friday ; another twentieth of March, January, or September. Another genral awakening. […] A redness gathers on the roses, even on the pale rose that hangs by the bedroom window. A bird chirps. Cottagers light their early candles. Yes, this is the eternal renewal, the incessant rise and fall and fall and rise again. [71]

Notes

[11 Woolf Virginia, "Reading", The Captain’s Death Bed and Other Essays, London : The Hogarth Press, 1950, p.156

[22 Agamben Giorgio, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris : Payot & Rivages, 2008, 11

[33 Woolf Virginia. “Modern Fiction”. The Common Reader. New York : Hartcourt, 1984, p.152.

[44 Woolf Virginia. Three Guineas. New York : Hartcourt, 1966, p.12.

[55 Aujourd’hui oubliées, les figures choisies par Woolf étaient à leur époque bien connues. Le général, héros de guerre, était le fondateur des Boy Scouts, l’universitaire à la tête de la procession, ancien premier ministre, était alors Chancelier de l’université de Cambridge, le juge était Lord Chancellor, et l’homme d’église l’archevêque de Canterbury.

[66 Pawlowski Merry M., “Exposing Masculine Spectacle : Virginia Woolf’s Newspaper Clippings for Three Guineas as Contemporary Cultural History”, Schiff Karen (ed), Literature and Digital Technologies : W. B. Yeats, Virginia Woolf, Mary Shelley, and William Gass, Clemson University Digital Press, 2003, pp.33-49.

[77 Ortel Philippe. La littérature à l’ère de la photographie. Nîmes : Editions Jacqueline Chambon, 2002, p.6

[88 Rappelons que document vient du Latin docere, enseigner, informer.

[99 Pour un approfondissement de la notion de "ça a été", voir Barthes Roland, La Chambre Claire, Paris : Gallimard-Le Seuil, 1980.

[1010 Dalgarno Emily, Virginia Woolf and the Visible World, London : Cambridge University Press, 2001, p.165.

[1111 Three Guineas, p.49.

[1212 Ibid, p.10

[1313 Benjamin Walter. L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique. Paris : Editions Allia, 2003, p.14-5.

[1414 Time Literary Supplement, 4 June 1938, cité dans Gualtieri Elena, “Three Guineas and the Photograph : The Art of Propaganda”, in Joannou Maroula (ed), Women Writers of the 1930s. Gender, Politics and History, Edinburgh University Press, 1999, p.65.

[1515 ‘admirable specimen of the Victorian educated man’, Three Guineas, p. 64.

[1616 Selon Roland Barthes, "Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle me point", La Chambre claire, p. 49.

[1717 Lorsque le 28 avril 1938, Woolf revient sur le texte comme engagement, elle note dans son journal : "Well I’ve done my bit for the cause, & cant be bullied. And then, when they badger me, I can say Refer to 3 Gs".

[1818 Oliver Bell Ann (ed). The Diary of Virginia Woolf. Volume V 1936-1941. London : The Hogarth Press, 1984, p.137.

[1919 Ibid, p. 97.

[2020 Ibid, p. 99.

[2121 Pour un approfondissement de la reprise et la torsion des discours dominants par Woolf voir Sarker Sonita, “Three Guineas, the In-corporated Intellectual, and Nostalgia for the Human”, in L. Caughie Pamela (ed), Virginia Woolf in the Age of Mechanical Reproduction, NY : Garland Publishing, 2000, pp.37-66.

[2222 Ibid, p. 10-1.

[2323 Idée qui conclue l’argumentaire sur Three Guineas d’Emilie Dalgarno.

[2424 Sontag Susan. Devant la douleur des autres. Paris : Editions Christian Bourgois, 2002, p.130.

[2525 Je reprends l’expression que Barthes développe dans S/Z. Le texte scriptible est celui qui fait réagir le lecteur, le poussant éventuellement à prendre la plume. Il s’oppose au texte lisible.

[2626 Three Guineas, p.150.

[2727 Sontag Susan. On Photography. Harmondsworth : Penguin Classics, 2002, p.17

[2828 Three Guineas, p.35.

[2929 Sur cette question voir Humm Maggie, “Memory, Photography, and Modernism : The “Dead Bodies and Ruined Houses” of Virginia Woolf’s Three Guineas”, Signs, vol.28, Winter 2003, pp.645-63.

[3030 Ibid, p. 114.

[3131 Gualtieri, p.170

[3232 Ibid, p.173

[3333 Meschonnic Henry. Modernité modernité. Paris : Gallimard, 2005, p.130

[3434 Ibid, p.136

[3535 Three Guineas, p. 9

[3636 Ibid, p.22

[3737 Meschonnic, p.135

[3838 Monks House Papers B, 16b, page unnumbered, University of Sussex

[3939 Meschonnic, p.130

[4040 Oliver Bell Ann (ed). The Diary of Virginia Woolf. Volume 3 1925-1930. London : Penguin, 1982, p.76.

[4141 Ibid, p.203.

[4242 Woolf Virginia. The Waves. London : Penguin, 2002, p.149.

[4343 Voir l’analyse de Paul Ricoeur dans Temps et Récit II-La configuration dans le récit de fiction, Paris : Ed. du Seuil, 1991.

[4444 Meschonnic, p.9

[4545 Ibid, p.76

[4646 Ibid, p.16

[4747 The Waves, p.3.

[4848 Woolf Virginia. Moments of Being. NY : Hartcourt, 1985, p.115.

[4949 Topia André, "Intensité(s) : de l’utilisation de la couleur chez Virginia Woolf", Études Britanniques Contemporaines n° Hors Série. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997, p.166.

[5050 Diary 3, p.118.

[5151 The Waves, p.209.

[5252 Cité dans Meschonnic.

[5353 The Waves, p.8.

[5454 “lost in the abysses of time” ; Ibid, p.173.

[5555 Dorment Richard et MacDonald Margaret. Whistler 1834-1903. Paris : Editions de la Réunion des musées nationaux, 1995, p.93.

[5656 Ibid, p.123.

[5757 Lochman Katharine (dir). Turner Whistler Monet. Paris : Editions de la Réunion des musées nationaux, 2004, p.33.

[5858 The Waves, p.84.

[5959 Meschonnic, p.130.

[6060 Ibid, p.136.

[6161 Ibid, p.138.

[6262 The Waves, p.14

[6363 Whistler 1834-1903, p.122.

[6464 The Waves, p.210.

[6565 Meschonnic, 9

[6666 Didi-Huberman Georges, Devant le temps, Paris : Les Éditions de Minuit, 2000, p.19

[6767 Woolf Virginia. “Craftsmanship”. The Crowded Dance of Modern Life. London : Penguin, 1993, p.142

[6868 Gaspar Lorand. Approche de la parole. Paris : NRF/Gallimard, 2004, p.35.

[6969 Woolf, “Modern Fiction",p.152

[7070 Meschonnic, p.9-13.

[7171 The Waves, p.228.